Elia d’Acremont, Sara Lafuerza et Christian Gorini
La mer d’Alboran (de l’arabe : al-bahran, البحران, le « nombril de la mer ») est située dans la partie la plus occidentale de la mer Méditerranée. Elle est comprise entre l’Espagne au Nord, le Maroc au sud et le détroit de Gibraltar à l’ouest , ouvert sur l’Atlantique. Cette région est également une écorégion désignée par le Fonds mondial pour la nature (WWF).
Le fond de la mer d’Alboran présente toute une succession de reliefs, sortes de montagnes et de vallées sous-marines, déchirées par une très grande zone de failles appelée zone de faille trans-alboran. Cette déformation du fond de la mer d’Alboran est due à la collision entre la plaque Afrique et la plaque Europe (figure ). La plaque Africaine forme dans ce domaine une sorte d’indentation dans la plaque européenne, et est limitée à l’ouest par la zone de failles trans-alboran et au Nord par un haut fond que l’on appelle la ride d’Alboran et dont la minuscule partie émergée correspond à la petite ile espagnole d’Alboran.
Ce bout de la plaque Afrique est entrain de rentrer en collision par le sud (figure) et la mer d’Alboran, coincée entre l’Europe et l’Afrique est en train d’être littéralement écrasée entre les deux blocs, un peu comme un bloc de pâte à modeler que l’on écraserait entre deux blocs de bois (figure ). Depuis peu de temps en terme géologique (1 Ma) une frontière de plaque prend naissance dans la région centrale du bassin d’Alboran. Un des objectifs de la campagne est de comprendre comment se forme cette nouvelle frontière et qu’elles en sont les conséquences en termes de risque sismique et de tsunami.
C’est cette déformation qui va créer les tremblements de terre, les avalanches sous-marines (dont la trace est illustrée par de grandes cicatrices et des dépôts massifs sur le fond de la mer), les volcans de boues (qui viennent percer le fond de la mer). Les reliefs sous-marins vont également avoir un contrôle sur le trajet des courants océaniques et les dépôts de sédiments transportés par ces courants, « tas de boue » répartis tout autour de la mer d’Alboran, dépôts que l’on appelle des contourites (figure).
Notre mission Albacore est de compléter la cartographie du fond de la mer de la partie sud du bassin d’Alboran et surtout de prendre des morceaux de fond de mer (carottes et échantillons) pour les analyser et de les décrire. En effet les sédiments prélevés au fond de la mer permettent de dater et de comprendre les processus de dépôts des sables et des argiles que l’on trouve sur le fond. Etudier leurs propriétés physiques, permet d’évaluer leur résistance (au cisaillement pas exemple), et tout comme on peut essayer d’évaluer le risque de déclenchement d’une avalanche de neige en montagne, on essaye d’évaluer le risque de déclenchement d’avalanches de sédiments sur les flancs des montagnes sous-marines. La différence est que lorsqu’une avalanche en montagne se déplace, la quantité d’air déplacée autour ne va pas très loin et perd de sa puissance rapidement. Lors d’une avalanche sous-marine, l’eau déplacée autour peut parfois créer des raz de marées sur les côtes espagnoles et marocaines.
Un des objectifs de la campagne en mer est d’évaluer les risques de tsunami liés à ces avalanches sous-marines.
Dans la colonne d’eau, les courants marins, ceux-la même qui transportent les sédiments et les déposent, ne vont pas avoir la même force et la même capacité d’érosion et de transport des sables et des argiles selon le climat . Un exemple, le Gulf-Stream qui est en train de perdre de sa puissance ces dernières années à cause du réchauffement climatique ! Les variations de climats vont être enregistrées dans les sédiments. L’étude des propriétés physiques de ces sédiments (par exemple la susceptibilité magnétique ou la radioactivité) nous permettent de retrouver dans les archives sédimentaires les changements climatiques qui ont affecté la planète, leur cyclicité, et prévoir ceux du futur. Ces changements climatiques dépendent de l’inclinaison de la terre sur son axe (qui varie comme les mouvements d’une toupie autour de son axe) et des variations de la forme de l’ellipse qui dessine la rotation de la terre autour du soleil. Une partie de notre étude est donc consacrée à mesurer les propriétés physiques des sédiments déposés au fond de la mer d’Alboran pour détecter les variations des climats passés (avec le pénétromètre Penfeld).
Notre problème aujourd’hui, c’est qu’à un réchauffement climatique naturel, on ajoute un effet de serre en raison des activités humaines, ce qui accélère le processus de réchauffement. Ce réchauffement de l’atmosphère et des océans va déstabiliser les courants marins et les gaz prisonniers dans les sédiments. Ces instabilités peuvent créer encore plus d’avalanches sous-marines et augmenter le risque de générer des raz-de-marée.
Une partie des chercheurs à bord du navire prélèvent les fluides contenus dans les sédiments pour évaluer la présence de gaz et essayent de savoir si une partie des avalanches sous-marines qui se sont passées sur le fond de la mer d’Alboran par le passé ne sont pas liées à la présence de ces gaz. Ces gaz auraient pu altérer les propriétés physiques (mécaniques) des sédiments, et entrainer leur instabilité le long des pentes sous-marines.
Les changements climatiques qui ont affecté notre planète ces derniers 400.000 ans sont aussi responsables de variations importantes du niveau marin (plus de 120 m de différence suivant les époques). Lorsque l’on est en période froide, l’eau évaporée naturellement des océans va se stocker sous forme de glace sur les continents, aux pôles, et le niveau global des océans va chuter. Vous allez devoir ramener votre serviette de plage plus loin vers le large au fur et à mesure que le trait de côte va avancer et la mer reculer, un peu comme lors des grandes marées. Les rivières vont déposer leurs sédiments de plus en plus loin dans la mer. On retrouve au fond de la mer d’Alboran, près des côtes actuelles, ces anciennes plages, sortes de terrasses témoins des niveaux marins successifs, et donc des périodes dites de glaciation ou des périodes plus chaudes comme aujourd’hui.
C’est le travail des stratigraphes présents sur le bateau de retrouver ces signes des niveaux marins passés, au large des côtes marocaines.